Tsai Yulung,
Peintre Chinois,
Un Passeur
Entre l’art chinois traditionnel et l’ art contemporain à l’occidentale, il y a un peintre: Tsai Yulong. Cet artiste d’âge mûr que je découvre avec bonheur est de la race des passeurs, de ceux qui transmettent et font connaître, de ceux qui savent apprendre aussi. Mais, rebelle aux a priori et au voies tracées d’avance, il n’est pas soumis au diktats des habitudes ou de la mode. Ainsi, représente-t-il pour moi l’un des plus évidents traducteurs de la formidable révolution aujourd’hui en marche dans une Chine définitivement « éveillée » , comme la prédisait Alain Peyrefitte, le ministre du Général de Gaulle. Et qui étonne le Monde.
Éveillée la Chine ? Réveillée plutôt, mais réveillée surtout à notre jugement d’occidentaux, à notre conscience claire. En réalité c’est l’Occident qui se réveille à la Chine. Car cet immense empire, pour s’éveiller ne nous a pas attendu. Depuis des millénaires, elle a produit les éléments visibles ou cachés d’une civilisation extraordinaire, elle inventé des instruments et des méthodes de conquête du mieux vivre, elle a créé des trésors de culture, d’art et de connaissance de l’Univers.
Mais la Chine, protégée par sa Muraille, physique ou virtuelle, s’est longtemps repliée sur elle même, développant ses propres conceptions et sa façon d’exister. L’ Histoire et la mondialisation - toute récente à la mesure de l’histoire humaine - ont fait craquer l’armure. Nous respirons tous le même air.
Quant à l’art, qui est l’expression la plus accomplie et la plus fine de la vitalité d’une civilisation, la Chine a longtemps affiné ses modèles et repris en les faisant évoluer au rythme qu’elle s’imposait les signes dont la tradition lui avait fait cadeau. Le XXème siècle et le XXIème siècles sont pour elle ceux de la confrontation avec d’autres modèles, d’autres chemins, d’autres défrichages. Ceux qu’ont affrontés les artistes, dits modernes ou contemporains par l’Occident, qui ont eux aussi fracturé la boite de Pandore dont les canons du classicisme interdisaient l’accès. Ils ont affranchi l’art de la représentation forcée, religieuse, historique ou sociale, de l’anecdote, du réalisme, du joli… Cézanne, Kandinsky, Kupka, Picasso, Pollock…, et plus près de nous Yves Klein, Cy Twombly, Pierre Soulages, Hans Hartung, Olivier Debré… et tant d’autres ont fait souffler sur l’art leurs tempêtes rafraîchissantes.
La rupture, en Chine, est plus récente. Elle s’illustre au premier chef par l’oeuvre explosant de couleurs d’une puissante subtilité de Zao Wu-ki, le plus célèbre des artistes chinois de l’extérieur, installé en France depuis 1948. Un virtuose. Un maître. On peut inscrire dans le même contexte révolutionnaire ( artistique s’entend ) le travail très actuel de Tsai Yulong qui, lui, joue essentiellement sur la forme écrite - ou plutôt peinte avec les pinceaux traditionnels - la calligraphie, et la fait vibrer, vivre splendidement. Mais Tsai Yulong, connaisseur avisé des infinies variations de la calligraphie traditionnelle, ne tient pas compte du vocabulaire des formes qu’elle emploie ou d’une quelconque signification des caractères ou des idéogrammes qui naissent spontanément de son imagination créative. Et c’est en cela qu’il est révolutionnaire. Son expression est plastique, formelle. Elle n’est pas chargée des ambiguïtés du couple moteur Signifiant/Signifié. Tout comme celle du grand peintre Pierre Soulages qui dit : « Je ne représente pas, je présente. Je ne dépeins pas, je peins. » explicitant la radicale matérialité de son travail. Chez Tsai Yulong la forme est là par elle-même et pour elle-même, pour son déroulé, pour son vécu formel. Sans référence à un autre contenu, qui serait à traduire mais qui se révèlerait extérieur, traître, pollueur. Le graphème est signe et cela suffit.
Peintre du signe pur, créateur de signes, Tsai Yulong inscrit sur ses surfaces, papiers ou toiles… la trame de sa sensibilité picturale. Ses tableaux sont des plaques sensitives, les témoins fiables des traces de ses propres émotions, de ses vibrations artistiques et esthétiques mais non pas intimes. L’abstraction, ici, n’est pas lyrique, musicale, échevelée. Elle est toute dans la tension inspirée du tracé. Parfois la couleur, le bleu, le rouge, l’orange, le jaune… viennent l’épauler, en nuancer la rigueur. Et cela donne des tableaux sublimes. Des tantras d’une modernité conquise et assumée.
Text by Contemporary Art Critic: Jacques Bouzerand